© Alexandra Marcy-Deleporte
Depuis août 2022, La Fabrique de la Danse et l’association Valentin Haüy se sont associées pour créer un parcours pour amener la danse et la création chorégraphique à un public qui en est souvent exclu : les personnes malvoyantes et non-voyantes.
“L’objectif du projet est de faire pratiquer des personnes éloignées de la culture à la création chorégraphique et la pratique de la danse,” explique Astrig Torossian, qui a coordonné ce programme.
À l’initiative de ce projet, plusieurs chorégraphes du programme Impulsion de la Fabrique de la Danse, dédié au développement de la pratique de la chorégraphique à impact social : Cécile Lassonde, Timothée Bouloy, Emmanuelle Simon et Orianne Vilmer.
Le programme, nommé “À vos jeux… Prêts ? Créez !” s’est déroulé en plusieurs phases. Tout d’abord, des ateliers de sensibilisation ont permis d’initier une première rencontre avec les bénéficiaires de l’association et faciliter leur appréhension de la danse. Un parcours spectateur a été lancé pour leur faire découvrir des pièces avec l’aide de bénévoles qui leur soufflent les chorégraphies en cours sur scène. Ensuite sont venus les ateliers de pratique qui ont permis de faire naître le groupe final de cinq danseuses et danseurs qui ont fait partie d’une première création chorégraphique présentée le 8 avril, Lumière Invisible.
Plongée dans le processus de création
Pour cette première création, une thématique olympique s’est imposée. “On s’est inspiré d’un duo d’athlètes, un coureur non voyant et son guide, pour créer quelque chose à partir du handisport”, raconte Astrig. L’amitié, l’entraide, la force de l’équipe, valeurs clés de l’olympisme, sont aussi centrales au travail.
Pour interpréter cette pièce aux côtés des chorégraphes et de bénévoles complices, cinq bénéficiaires de l’association Valentin Haüy : trois femmes, Marie-France, Liliane et Dominique et deux hommes, Wilhem et Alexandre. Des seniors, des jeunes, beaucoup qui n’avaient jamais dansé, voire pratiqué d’art vivant, d’autres plus musiciennes, un kiné bien sportif, bref, un groupe intergénérationnel et mixte.
“Je me suis dit que j’allais me lancer un nouveau défi, un challenge, donc j’ai décidé de faire ça,” explique Wilhem, qui dansait pour la première fois grâce à ce projet. “Quand je danse, je me sens bien, je me sens serein, je me sens épanoui.”
“Ça fait du bien de danser avec les autres, de faire quelque chose ensemble. On n’a pas beaucoup l’occasion de faire des choses tous ensemble comme ça,” dit Dominique.
Pour créer tous ensemble, les chorégraphes ont puisé dans différentes sources, sollicitant régulièrement les propositions de leurs danseurs et danseuses. On trouve ainsi dans Lumière Invisible des textes proposés par certains d’entre eux qui ont été mis en mouvement, des chorégraphies de groupe guidées par l’entente entre les corps, ainsi que des solos et des duos qui virevoltent dans l’espace et sont rythmés par des accessoires sonores.
À travers ces quelques mois de travail, le groupe a pu expérimenter toute la rigueur qu’exige la création comme la gestion de la dynamique de groupe, le besoin de répéter ou l’importance de s’engager pleinement, mais aussi découvrir tout le plaisir qu’elle apporte.
“On a réussi à faire quelque chose qui fait qu’ils prennent du plaisir,” dit Cécile. “Je pense qu’on a surpassé pas mal de difficultés, notamment faire la part des choses entre ce qui est vraiment une difficulté et les moments où ils ont juste un peu moins envie ou que ça leur fait peur.”
Avec un lien et une confiance grandissant à chaque rencontre, tous ont été embarqués dans un projet plus grand que ce qu’ils auraient imaginé. “Si on les avait écoutés, on aurait une création de 10 minutes. On en a une de 40,” souligne la chorégraphe avec humour et bienveillance.
“Je pense qu’on commence à bien se connaître. Ça se passe bien car on a réussi à avoir leur confiance et les faire se sentir bien aujourd’hui,” continue Timothée. “A certains moments, ils ont été face au fait qu’il y a eu des avancées de leur maladie et on s’est retrouvé aussi face à ça et je pense qu’on a su, chacun de notre façon, prendre ça et continuer d’avancer.”
Des changements visibles pour tous.tes
Tous ces efforts ont donné lieu à de belles transformations. “Le rapport au corps est totalement différent”, observe Astrig. “Des personnes qui au début ne bougeaient pas énormément maintenant se roulent au sol. Le rapport à l’espace aussi : ils sont plus libres de marcher sans qu’ils aient une accroche à quelque chose ou quelqu’un.”
“Au début, ce qui m’a surtout surprise, c’est que ça me paraissait très abstrait et j’avais l’impression de faire n’importe quoi,” se souvient Dominique. “Et maintenant, ça reste un peu abstrait mais j’éprouve plus de plaisir qu’au début.” Elle dit même qu’il lui arrive de danser lorsqu’elle est seule.
La représentation, un moment suspendu
Lors de la représentation du 8 avril, plus de 50 personnes sont venues assister à la représentation qui a eu lieu à la résidence Valentin Haüy dans le 19e arrondissement de Paris. Tous et toutes s’étaient faits beaux et belles pour l’occasion, invitant famille, amis, collègues à découvrir le fruit de leur travail.
En plus du bonheur lisible sur le visage de chacun des bénéficiaires durant les 40 minutes de représentation, des sentiments de fierté et de joie se sont dégagés.
“Le solo, ça a été un beau projet pour moi,” raconte Wilhem. “C’est mes émotions. Ce que je ne peux pas dire, je le transmets au public en dansant.”
“La beauté au milieu des brutalités de ce monde, ça fait du bien,” conclut Dominique.