Au tout début il n’y en avait qu’une… Christine Bastin, directrice artistique de La Fabrique de la Danse, a lancé le mouvement à l’école des Amandiers, pour la première saison de Touche le ciel. Avant de passer le flambeau aux chorégraphes de notre réseau. Elle revient aujourd’hui sur cette expérience…
Photo : Emmanuelle Stäuble
Touche le ciel… Déjà 3 ans d’une aventure hors du commun. Au départ, une envie d’amener la danse à l’école, au collège, au cœur même de l’éducation des enfants… Apprendre à danser, comme on apprend à lire, à écrire, à compter… Cultiver le sensible, l’écoute de soi, des autres, découvrir le langage de son corps, exprimer son imaginaire, ses émotions… Et le faire avec un.e chorégraphe, un.e artiste, qui met le plaisir de danser, de créer, de partager, au cœur même de sa pédagogie. Qui y croit autant qu’il croit à la vie. L’art, par l’exemple… Comme une fleur exprime ses parfums, ses pollens… J’ai eu la chance d’être la première chorégraphe à rêver à ce projet avec la Fabrique de la Danse, et à en créer la pédagogie.
Notre désir le plus fort : une immersion totale de l’enfant dans le monde chorégraphique, autant pour en approcher l’histoire et la culture, que pour pratiquer la danse, avec tout ce que cela implique de travail sur le corps, d’éveil à son propre monde intérieur et à sa créativité… Pour découvrir aussi tout ce à quoi la danse contemporaine nous rend sensible : l’espace, la place qu’on y occupe, la justesse entre les états intérieurs et la forme extérieure, le rapport à l’autre, le contact physique, l’expression individuelle, le sens du groupe, le rapport libre à la musique, le sens que l’on donne à sa danse… Un beau voyage fait d’exigence, de questions, de liberté créatrice et de connexion à « tout ce qui est », qui va permettre à l’enfant de se révéler tel qu’il est face aux autres, avec eux, et en toute confiance.
Il y a aussi dans Touche le ciel, l’envie de mettre l’échange avec l’enfant, au cœur de tout… Pour qu’il puisse s’exprimer, se situer, s’affirmer, exercer son esprit critique, sur ce qu’il voit, ce qu’il entend. Alors beaucoup de questions sont posées, dont la réponse participe à la construction de soi : Est-ce que tu aimes ou pas ce que tu vois ? Et pourquoi ? Et comment tu te sens aujourd’hui ? Et à quoi ça sert la danse, pour toi ? Et tu préfères aller vite ou aller lentement ? Et le geste quotidien, tu trouves que c’est de la danse ? Et c’est quoi le vivant ? Et le virtuel ? Et ça veut dire quoi, pour toi : Touche le ciel ?
Pour nous, c’est toucher au plus précieux de nous-mêmes, au ciel intérieur, et à tous nos trésors… Cette parcelle de trésor de l’écrivain Marcel Moreau, « cet enfoui, ce furieusement enseveli », qui n’attend que sa mise à jour dans l’éclosion d’une danse.
Voilà donc tout ce qui a fait l’essence de Touche le ciel, lors de l’année de sa création, et qui est important pour moi de transmettre aux chorégraphes qui prennent ma suite.
Pourquoi transmettre ? Parce que ça va dans le sens de la vie ; parce que le projet a pris de l’ampleur et parce qu’il s’enrichit incroyablement des singularités de chaque artiste, et de la diversité des esthétiques, qui est une des grandes richesses de la danse contemporaine !
Ont donc rejoint le projet : Tess Blanchard, Anaïs Rouch, Marie Simon, Rémi Esterle, Elsa Lyczko, Clémence Pavageau, Marion Parinello, Nicolas Vacca, Smaïl Kanouté, Eva Assayas… Et d’autres à venir. Toutes et tous sont passionné.es, à la fois par la pédagogie, et par leur art. C’est leur choix de vie… Ce qui en fait les meilleurs médiateurs qui soient auprès des enfants. Chaque chorégraphe est venu nourrir Touche le ciel, avec sa personnalité, sa propre sensibilité et une façon de faire, en cohérence avec son univers artistique.
A l’écoute des enfants et des adolescents, il s’est mis en état de perpétuelle création, navigant entre ses propres fondamentaux artistiques et l’agilité créatrice indispensable ! Les enfants vibrent tout de suite à ce qui nous est « fondamental », « essentiel », mais en même temps, ils nous poussent à la réinvention constante, pour que quelque chose se passe, qui parle à leurs corps, leurs âges, leurs générations, et à leur qualité d’amateurs, qui fait exploser bien souvent nos schémas habituels de travail.
Comment transmettre ? J’ai transmis la pédagogie de Touche le ciel aux chorégraphes, en leur livrant les principes fondateurs qu’il est important de faire siens pour intégrer le projet et respecter son esprit, tout en les laissant libres de leur interprétation pédagogique.
La pédagogie de Touche le ciel, c’est permettre la rencontre de la danse et de l’enfant, en lui ouvrant plusieurs portes à la fois :
- La découverte de la culture chorégraphique d’hier et d’aujourd’hui (par l’histoire, les vidéos, les sorties culturelles…)
- Les temps d’échanges et d’expression personnelle autour de tout ce qu’il voit ou entend
- La pratique de la danse avec l’échauffement, l’apprentissage d’une chorégraphie, la répétition, l’improvisation, la création…
- Et enfin la présentation publique, ce moment tant attendu qui vient récompenser tous les efforts et se révèle un moment d’aboutissement très important pour l’enfant
Tous ces contenus s’articulent autour d’un fil rouge, d’une thématique de travail, que l’on choisit ensemble tout au long du projet ; fil rouge permettant de donner une orientation au travail, de tisser un lien entre les moments de culture, d’échanges et de pratique. Il crée aussi un axe commun, un point de rencontre entre les chorégraphes, les professeurs et toutes les classes. Quelques exemples de « fil rouge » : le quotidien, les robots et les humains, le corps magique, tous les lieux où l’on danse, le vivant et le virtuel, etc.
Photo : Emmanuelle Stäuble
Touche le ciel, c’est aussi la découverte des nouvelles technologies appliquées à la danse, dont l’effet « magique » et immédiat, vient stimuler incroyablement l’imaginaire des enfants, tout en libérant leurs corps des pudeurs habituelles. Elles se révèlent un très bon facilitateur d’accès au mouvement et à l’improvisation.
Enfin les chorégraphes sont invités à travailler en lien étroit avec les professeurs, dont l’investissement et l’implication sont essentiels à la réussite du projet. Voilà donc le cadre proposé aux chorégraphes qui souhaitent participer au projet. En même temps, au-delà du cadre, je leur ai partagé aussi mon expérience.
Tout ce qui m’est arrivé avec les enfants… Et que je n’avais pas forcément anticipé : Mon incroyable joie à me retrouver en classe avec eux, dans une réelle liberté d’être, comme si la danse créait un pont d’évidence entre ma génération et la leur; joie aussi de m’apercevoir que je réalisais un rêve : danser dans la salle de classe elle-même, là où se joue toute l’éducation !
Tout ce que j’ai appris aussi en faisant, en expérimentant, en me trompant, en écoutant les professeurs, en voguant avec les enfants… Toutes leurs questions et leurs émerveillements, venant nourrir et approfondir les fondements de notre Touche le ciel. Le plaisir de retourner à l’école (bon pied, bon œil à 8H30 !), de re-découvrir à quel point les enfants aiment apprendre…
J’ai aussi raconté mes découragements quand la danse est empêchée d’être, par un chahut qu’on ne maitrise pas, qu’on ne comprend pas… La nécessité, parfois, de faire patienter la poésie, pour « faire de la discipline ». Et enfin, les petit bonds de bonheur en soi, au détour d’un mot d’enfant, ou d’un geste lumineux de grâce et d’intensité…
Et j’espère avoir livré l’essentiel : mon plaisir à transmettre ce que j’aime, et qui pour moi, célèbre l’humain dans ce qu’il a de plus beau.
Après cette étape de transmission entre moi et les chorégraphes, je suis allée les voir à l’école, dans leurs classes et au gymnase, pour ressentir ce qui se passe entre eux et les enfants, et ce qu’il en est du mouvement profond de Touche le ciel.
C’est très émouvant pour moi d’être à cette place, à la fois de « gardienne du temple », et de spectatrice de ce qui s’invente. Je me sens en empathie profonde avec les chorégraphes qui m’ont succédé. Ils sont eux-mêmes en confiance avec mes retours, en même temps qu’ils me révèlent de nouveaux chemins d’apprentissage. Une très belle expérience de partage.
Je me suis demandée si ce nouveau rôle m’éloignerait des enfants ? Mais non ! Ils me courent dans les bras quand j’entre dans l’école. Ils n’ont pas oublié le passé, même si leur présent les ravit… Et ça me touche beaucoup. Ils ont vraiment tout compris de la continuité, des racines et des nouvelles branches…
Pour conclure sur un projet qui n’a pas envie de s’arrêter ( d’où son nom !). Chaque nouvelle session s’enrichit de la précédente, tout progresse sans cesse, mais on essaie aussi de ne pas oublier cet « en train de se faire », qui nous permet de ne pas figer les choses ; de ne pas basculer dans un « savoir » qui pourrait mettre en danger la source même de l’art : l’état d’ignorance au départ de toute création, menant aux découvertes les plus folles.
En plein milieu de Touche le ciel, il y a ça : oser ouvrir sa fenêtre vers l’infini, vers le « tout est possible »… Et tous s’y aventurent : les enfants, les chorégraphes, les professeurs, et même le directeur qui danse sa jubilation sur le toit de l’école, pour célébrer le vivant. Ce jour là, il avait le fin mot de l’histoire…