Plus de répétitions, plus de résidences… Alors que font les chorégraphes pendant le confinement ? Elsa Lyczko (promotion 2018 de l’incubateur) a lancé non pas un, mais deux projets, autour des mots. A découvrir dans cette interview !
Crédit photo : Jean Seng
Alors, Elsa, comment se passe ce confinement pour toi ?
Bien. Enfin euh… tant que faire se peut. C’est quand même très étrange d’écrire « bien » car rien ne va bien dans cette période troublée mais disons que je suis en bonne santé, ceux qui me sont chers également et que je suis dans un cadre de confinement plutôt privilégié, entendez par là « pas dans un 12 m2 avec toilettes sur le palier au 28ème étage d’un immeuble parisien sans ascenseur »… Donc je n’ai pas de raison de me plaindre même si les questions sont nombreuses, des plus nombrilistes aux plus générales quant à l’évolution du monde face à cette crise.
Il paraît que tu en as profité pour lancer un projet, voire deux en même temps ?
Ah oui il paraît. Disons que je suis quelqu’un qui « projette ». Pardon les yogis, et autres adeptes de l’absolutisme de l’instant présent et du lâcher prise, il n’y a aucun mépris dans mes propos, simplement moi, j’en suis incapable et si je n’ai pas de « projets » en cours ou à réaliser dans un futur plus ou moins proche, je me noie. Je me noie dans la mélancolie, dans la sensation de vide, dans le rien. Alors je m’invente constamment du neuf, du « projet ». Et là… bon, plus de répétitions, plus de residence, plus de scène, plus d’ateliers Touche le Ciel au collège, plus de… plus de salaire ah oui c’est vrai aussi, un détail (hum)… Alors j’ai décidé de donner de l’espace à mon autre pôle de créativité : les mots. J’ai toujours beaucoup écrit, des choses pour moi, pour d’autres, quelques articles, un roman en cours, et j’ai depuis quelques temps l’envie d’être lue, de partager. J’ai donc créé récemment un blog, les Effarés du Bocal, dans lequel je rassemble mes textes et les offre donc aux yeux de tous les poissons confinés dans leur bocal. Et comme un seul projet en cours ne me suffisait apparemment pas (ok les yogis je sais, ça frôle la névrose de la peur du vide), je réalise également un podcast quotidien, l’Entre Deux que je te détaillerai plus loin. Wouhou, suspens…
Et de quoi parles-tu dans le blog ?
Les poissons n’ont pas de larmes. T’avais déjà pensé à ca ? Peut-être donc que si l’on voyait la vie à travers un bocal, nous nous débarrasserions de la mélancolie. Nos larmes invisibles se fondraient dans le milieu aquatique sans laisser de trace… ah la mélancolie… elle est certainement la toile de fond de tout ce que tu trouveras sur le blog Les Effarés du Bocal. À côté du podcast l’Entre Deux, tu trouveras des chroniques, petits instants insignifiants de vie auxquels j’aime donner du sens dans la rubrique Le Bocal, quelques confidences dans la rubrique du même nom où je m’essaie à la narration directement adressée au lecteur comme au coin d’un zinc de quartier en fin de soirée. Un clin d’oeil à l’écriture de Nicolas Fargues dans J’etais derrière toi. Tu trouveras aussi, dans la rubrique Projecteurs, des critiques de spectacles, car les poissons vont aussi au théâtre (enfin allaient aussi au théâtre…) et une rubrique spéciale lecture est en cours de réalisation. Elle s’appellera Les Pages Cornées je pense. A suivre donc…
Et dans le podcast ?
Dans ce podcast, j’ai convié 5 voix amies, coincées malgré elles dans cet Entre Deux qu’est le confinement et les ai invitées à me livrer chaque jour leurs joies, leurs inquiétudes, leurs pensées absurdes et leurs questionnements que je mets en résonance avec mes mots. Les épisodes de l’Entre Deux sont disponibles tous les jours sur le site des Effarés du Bocal ou sur Spotify et Apple Podcast. À travers ces témoignages je ne cherche à tirer aucune conclusion, ni à donner de conseils ou de recette miracle pour « bien vivre » le confinement (j’en ai d’ailleurs déjà ras le bol de tous les articles de ce genre qui circulent, chacun fait comme il peut dans cette drôle de période…), je me contente donc d’écouter, d’enregistrer ces voix et de les chérir comme un témoin du temps, de ce temps entre deux auquel j’apporte mon regard à travers quelques mots. Je ne sais en vérité pas si cela aura un écho sur les tympans d’auditeurs hors de ma sphère proche mais cela me fait du bien de travailler à ce podcast tous les jours et dans le pire des cas, je pourrai toujours vendre les enregistrements à un sociologue qui cherchera, post crise, à faire une étude sur les mécanismes psychologiques en jeu dans la période de confinement !
Et tu danses quand même ? Comment tu t’organises ?
Et non. Pour le moment, je préfère me concentrer sur d’autres projets plutôt que d’essayer de continuer à danser « comme avant » avec ce goût d’amertume puisque pour l’instant rien n’est comme avant. J’ai vraiment pris le parti de me dire que cette période que nous traversons était juste « autre chose » plutôt que de m’épuiser à essayer de rendre cohérents des éléments de vie qui pour le moment ne le sont plus. Je cours beaucoup par contre, sinon mon corps m’insulte du manque d’activité physique. Et je réfléchis à ma création en cours, un seule en scène danse théâtre sur la thématique des mots tus, des non dits. Encore une affaire de mots, oui… J’ai encore l’espoir de pouvoir réaliser ma résidence de création au CN D prévue normalement fin avril. On verra… Pour ce qui est de la vie de ma compagnie, j’en profite pour faire ma compta (pas faite depuis des mois…), et pour réaliser des contenus de communication inédits prêts pour le « retour à la normale » !
Tu as quelques conseils à donner aux autres chorégraphes ?
Absolument aucun. Comme je le dis plus haut, j’en ai déjà marre des conseils balancés sans cesse sur la toile, qui sont de mon point de vue plus culpabilisants qu’autre chose. Je dis donc à chacun, chorégraphe ou non, de faire comme il peut, au mieux pour lui, pour ne pas se noyer dans ce bouleversement de nos quotidiens. Moi je crée des podcasts, peut-être que toi tu auras envie de relire l’intégralité de ta bibliothèque, ou au contraire de moi d’essayer de maintenir en cohérence les éléments de « ta vie normale », ou peut-être envie de rien. Et c’est pas grave. Fais. Et porte toi bien. Avec toute ma tendresse.