Rencontre avec Kadek Puspasari, de la promotion 2019 de l’incubateur.
Quel est ton univers chorégraphique ?
Aujourd’hui, j’essaye de définir ma danse, mon univers chorégraphique. Bien qu’ayant été formée dans les danses dites traditionnelles balinaises et javanaises, j’émets des réserves par rapport à la définition de ma danse comme traditionnelle ou inspirée par la tradition. Ces danses dites traditionnelles au corpus technique bien spécifique ne sont pas à strictement opposer à la danse dite contemporaine. Comme elle, mon univers chorégraphique offre une vision, un paysage. Ma danse est une représentation de l’histoire du corps, objet de réflexivité, mais aussi outil pour construire de nouvelles histoires. Elle est née des différentes stratégies d’adaptation, d’une recherche de réponses dans le corps pour vivre dans ce monde (voir le concept de politique du corps) et d’une quête d’épanouissement et d’identité.
Ayant grandi à Bali et Java, j’ai été nourrie de la culture rituelle des temples hindous où la danse est une offrande pour les dieux et des danses classiques de palais à Java où l’offrande de la danse est destinée au roi. Arrivée au lycée, j’ai pris conscience de la façon dont dès le primaire, on nous cachait la réalité, les manuels présentant une version trompée des faits historiques. Le corps porte les traces et témoigne du contexte politique passé et présent. Aujourd’hui, ma danse est le lieu pour inventer des rituels personnels et pour développer à partir de l’intuition des mouvements et des voix. Le plus important n’est pas la simple écriture chorégraphique, mais la mise en forme de l’intuition, de l’émotion et de notre humanité sans oublier l’intention de partage avec les autres danseurs, les musiciens et avec le public, doivent prendre conscience de l’espace et de ce que j’appelle le « théâtre du cœur ». Ma danse permet d’élargir les possibles et de voir plus loin que ce que les yeux peuvent voir. La vision, le paysage de ma danse, sont-ils une tradition nouvelle ou renouvelée ou le résultat de cultures lointaines ou le fruit hybride du mélange des disciplines toutes aussi composites ? J’espère surtout que ma danse permette une ouverture des sens et de la pensée au-delà de la vie quotidienne, de la politique et des catégorisations que ce soit dans la vie ou dans la danse.
Peux-tu nous dire quelques mots sur ta création en cours ?
Panji’s Uchrony (l’uchronie de Panji)
C’est en lisant le roman de Philip K.Dick, Le maître du Haut-Château, qu’il m’a paru intéressant d’explorer le concept d’uchronie et de faire la liaison avec la littérature javanaise dite de Panji. Bien qu’elle ait été écrite au 13e siècle, l’épopée de Panji possède un caractère intemporel. Elle raconte de nombreuses aventures pouvant être lues à plusieurs niveaux. Parmi les multiples histoires narrées dans le mythe, le projet Panji’s uchrony se concentre autour de trois personnages. Ma recherche chorégraphique se concentre sur l’exploration de ces trois personnages et de leurs lectures possibles à travers différents niveaux d’interprétation visuels et sonores. Le corps du danseur sera visible sur scène, mais également en vidéo. Un travail sera mené avec un vidéaste. La musique live (2 musiciens) suivra également le concept d’uchronie à travers des instruments classiques javanais qui seront modifiés électroniquement. La musique vivante est un élément important pour mes chorégraphies, car c’est une matière plus souple qu’un enregistrement audio qui fige l’ interaction avec la danse.
Pourquoi avoir rejoint l’incubateur de chorégraphes ?
Je souhaite faire connaître, découvrir, échanger et partager mon univers chorégraphique avec d’autres chorégraphes, danseurs et avec le public français. J’espère au cours de cet apprentissage, en savoir plus sur l’état de la danse contemporaine, aujourd’hui en France, ses codes et sa structuration institutionnelle qui ne sont pas évidents à cerner pour un chorégraphe étranger. Les fondations ont des statuts stricts, qui les empêchent de soutenir certains types de projets. Ainsi, rares sont celles qui pourront être mobilisées sur un événement ponctuel : ces structures préfèrent en général s’engager à plus long terme. Certaines fondations exigent que votre compagnie ait un certain budget de fonctionnement, ou soit soutenue par d’autres organismes. Essayez de repérer rapidement ces particularités, vous éviterez de perdre du temps à contacter une fondation qui rejettera votre dossier !