« On est une génération « nouvelles technologies », nous sommes tous submergés par les écrans, nous avons grandi avec Internet, c’est quelque chose auquel nous ne pouvons pas vraiment faire abstraction. Dans ces nouvelles technologies, il y a vraiment quelque chose que j’apprécie et des choses qui peuvent me déranger. Dans mes créations, j’attends donc vraiment de voir mes propres limites et celles, de ces technologies ».
Photo : Roman Tournay / REVERSIBLE /Chorégraphe : Thomas Ballèvre / Interprète : Lucie Anthonioz
Pourrais-tu te présenter en quelques mots ? Quel est ton univers chorégraphique ?
Je m’appelle Thomas Ballèvre et je suis chorégraphe et danseur interprète. J’ai eu la chance de travailler auprès d’artistes comme Olivier Dubois, Hervé Robbe et Jan Fabre, dont l’univers chorégraphique et artistique m’a énormément appris. En 2018, j’ai crée le projet AUTOPILOT, un projet très représentatif de mon univers chorégraphique et artistique. AUTOPILOT me permet de laisser une grande place à la recherche dans mon travail. J’aime donner vie à de nouveaux paradigmes artistiques et créatifs, mélanger les disciplines, faire converger les arts les uns vers les autres, et sortir du cadre scène/public, que ce soit par des installations, des performances In situ, ou via des supports vidéo. En ce moment, je travaille en partie sur la déstructuration du mouvement et du geste conscient, et pars à la recherche de ces instincts primaires. Mes recherches s’articulent autour de différents domaines tels que la santé (travail sur l’art primaire avec des personnes aux différents handicaps mentaux), ou la religion (danse primaire sur des rythmes/chants religieux menant à un état de transe, comparable à ceux des clubbers en soirée sur de la musique techno).
Tu fais partie de la promotion 2019 de l’incubateur : pourrais-tu nous dire quelques mots sur ta recherche de création chorégraphique en cours ?
AUTOPILOT / Pilotage automatique, est une interprétation des réflexes archaïques du mouvement dansé en milieu festif présentée en différents solos épisodiques. Une pléthore de mouvements automatiques, et une réflexion sur cet état de transe. À travers cette démarche, j’invite le public à explorer ma vision du monde de la nuit, à découvrir ces danses générées par ces créatures nocturnes. Ce projet est pour moi un laboratoire de recherche pour atteindre ce que nous pouvons appeler l’état de pilotage automatique. C’est une recherche sur la danse considérée comme un instinct primaire, un travail autour de la déconstruction du mouvement conscient, donnant naissance à une danse non-performative au sens virtuose du terme. C’est une interprétation de cet état dissociatif recherché à travers différents domaines tels que les sciences et la religion (transe, hypnose). Un travail qui tente de transposer l’univers du clubbing sur scène, la place du contexte environnant dans la perturbation physique et psychique et de l’immersion pour atteindre cet état. Grâce à une collaboration avec de nombreux artistes aux disciplines variées comme la musique, la technologie, la vidéo ou bien la littérature, ce projet tend à prendre plusieurs formes : performances in-situ en galerie d’art, clubs et festival, mais aussi sous des formes plus institutionnelles comme des conférences dansées et des spectacles.
Tu as pour désir d’intégrer la nouvelle technologie à ta/tes création(s), d’où te vient cette envie ?
Nous sommes submergés par les nouvelles technologies, qui font partie intégrante de notre quotidien. L’ère du numérique fait de « nous » une génération particulière, en phase de test et de cohabitation avec celles-ci. Il me semble important d’en prendre conscience et de garder notre humanité en utilisant les nouvelles technologies comme des outils de création, de connaissance, d’hybridation des possibles. C’est en ce sens que j’utilise ces nouvelles technologies dans ma recherche sur le mouvement primaire et archaïque, pour faire le pont entre l’Histoire (avec un grand H) et notre histoire, celle qu’on écrit aujourd’hui. Néanmoins, je les utilise aussi parfois pour dénoncer ses abus et ses mauvaises utilisations comme dans REVERSIBLE qui est un solo utilisant la vidéo projection pour parler de trans-virtualité. Comment notre avatar/corps virtuel peut-il prendre le pas sur notre corps réel ? J’ai tenté d’illustrer cela en superposant ces deux corps et en questionnant le caractère perturbateur de ce flou entre ce qui est réel et ce qui ne l’est pas. Pour conclure, disons que les nouvelles technologies me fascinent autant qu’elles me font peur.
REVERSIBLE / Chorégraphe : Thomas Ballèvre / Interprète : Lucie Anthonioz / Vidéo : Pablo Albandea / Installation : Thomas Ballèvre / Musique : Brèche
Dans cette/ces création(s), quel a été ton processus de travail pour lier la technologie à la danse ?
Sur AUTOPILOT, je les utilise pour perturber les états de conscience de mes danseurs interprètes. L’idée était de se dire que notre environnement visuel et sonore perturbe notre esprit et notre corps. C’est pourquoi je cherche des processus techniques très immersifs. Parce qu’il me tient à cœur de créer un pont et des convergences entre les nouvelles technologies et toutes les disciplines artistiques en elles-mêmes, je travaille avec des musiciens qui conçoivent de la musique électronique répétitive dite techno. « Techno » étant une simple abréviation de « nouvelle technologie » : c’est une des réponses des musiciens face à ces nouveaux outils. Mais j’utilise également la vidéo qui est à mon sens une représentation figée numériquement du réel, qui vient le perturber d’autant plus. La vision est un sens qui est extrêmement sollicité avec l’omniprésence de tous ces écrans dans nos quotidiens, et il me semblait important de l’utiliser.
La technologie est-elle un accessoire ou doit-elle être partie intégrante de la création ?
De façon générale, la technologie est utilisée sur l’ensemble des solos de la série AUTOPILOT pour stimuler l’interprète et l’aider à atteindre cet état de pilotage automatique. Sur certains solos, elle est également utilisée pour sublimer et mettre en valeur le danseur dans son état dissociatif. Sur d’autres, elle est là pour dénoncer ses abus. En somme, elle est pour moi autant accessoire que partie intégrante de la création, et c’est précisément tout l’enjeu de créer avec ces nouvelles technologies : s’en saisir, c’est donner vie et lieu à des nouvelles formes et pratiques artistiques qui, parce qu’elles nous dépassent, nous donnent aussi lieu à nous dépasser. À créer de nouveaux paradigmes, de nouvelles manières de créer.