La semaine dernière, Christine Bastin nous parlait de sa vision du métier de chorégraphe, cette semaine, nous nous intéresserons aux qualités qui semblent requises pour exercer ce métier.
Notre bref historique sur la profession nous a rappelé les multiples “casquettes” que le chorégraphe a eues dans l’Histoire : de notateur du mouvement, à créateur-auteur du mouvement… Au-delà de ces deux aspects du métier, le chorégraphe a toujours eu besoin de compétences diverses et variées pour exercer son art. Déjà au XVIIIe siècle, Jean-Georges Noverre écrivait dans ses célèbres Lettres sur la Danse publiées dès 1760 en français et en allemand que « Le compositeur [de ballet] doit étudier les peintres (…) Le dessin est trop utile aux ballets (…) Le maître de ballet qui ignorera la musique (…) n’en saisira pas l’esprit et le caractère. » Il ajoutait dans la même Lettre : « Le maître de ballet dont les connaissances seront les plus étendues et qui aura le plus de génie et d’imagination, sera celui qui mettra le plus de feu, de vérité, d’esprit et d’intérêt dans ses compositions. »
Par ailleurs, au-delà de ces connaissances pluridisciplinaires qui nourrissent la création, le chorégraphe se dote de plus en plus de compétences qui le rapprochent d’un chef de projets artistiques : management des danseurs, gestion d’un budget, organisation d’un planning de production… Surtout lorsqu’il démarre son activité, le chorégraphe est en effet amené à s’occuper de tâches administratives, à maîtriser la gestion de sa compagnie mais aussi à manager ses équipes artistiques, techniques et administratives. Les chorégraphes sont-ils multi-compétents ?
Des qualités et une sensibilité artistiques évidentes…
Pour être chorégraphe, il est d’abord préférable de disposer d’une grande sensibilité artistique et d’une curiosité d’esprit à d’autres champs artistiques que la culture chorégraphique. Dans la lignée des recommandations de Noverre, il est vrai que le “compositeur de ballets” gagne à avoir une connaissance, même lacunaire, du théâtre, des arts plastiques, de la musique ou encore de l’architecture. Comme tout artiste, le chorégraphe doit en effet être créatif et savoir développer sa créativité. Christine Bastin, chorégraphe et directrice artistique de la Fabrique de la Danse indique quant à elle que: “C’est toujours bien d’avoir une bonne culture chorégraphique, mais aussi d’être sensible aux autres types d’art, a tout ce qui se vit. On a un besoin de nourrir constamment la création.” Cela est d’autant plus vrai que les chorégraphes sont aujourd’hui férus de collaborations interdisciplinaires et puisent parfois leurs inspirations dans les croisements fructueux entre arts plastiques et danse, ou encore entre vidéo et nouvelles technologies et danse.
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Bien souvent, le chorégraphe a une formation initiale de danseur interprète. Il est très rare que le chorégraphe ignore la danse et sa technique avant de se lancer dans l’écriture de ballets. C’est souvent parce qu’il a lui-même expérimenté le mouvement dans son propre corps, qu’il parvient à maîtriser le langage chorégraphique et à mieux communiquer ses exigences à ses danseurs. En tant que compositeur de ballets, les chorégraphes modèlent en effet leurs créations en utilisant pour palette expressive les corps des danseurs, mais aussi les sons, les lumières, la scénographie. Ces rudiments technico-artistiques doivent donc être également connus et maîtrisés des chorégraphes tout comme le peintre sait utiliser, sur sa palette, différentes couleurs, des clair-obscurs, de la peinture à l’huile ou encore des techniques sèches comme le crayon, le fusain, le pastel… À chaque artiste ses outils à maîtriser !
Par ailleurs, nombreux sont les artistes qui comparent la création d’une oeuvre d’art à un accouchement, une véritable éclosion. La patience est ainsi une autre qualité qui aide le chorégraphe pour que la création chorégraphique puisse éclore. Comme le dit le peintre Nicolas de Staël : “Être artiste, ce n’est pas compter, mais vivre comme l’arbre sans presser sa sève, attendre l’été”. En plus de la patience, l’assiduité et la persévérance sont deux qualités bienvenues pour les chorégraphes. Car l’attente de l’élan créatif dans la danse ne se fait pas sans travail, sans répétition, et exigence : il faut aimer passer deux heures sur chaque mouvement s’il le faut ! En ce sens, les mots de Bach, un autre grand compositeur, non pas de danse mais de musique, sont édifiants : “J’ai beaucoup travaillé. Quiconque travaillera comme moi pourra faire ce que j’ai fait. (…) Un travail incessant, une analyse, une réflexion, beaucoup d’écriture, une autocorrection sans fin, c’est mon secret.”
Le chorégraphe, un artiste-entrepreneur
Pour mener à bien son travail, le chorégraphe doit désormais développer des compétences extra-artistiques en parallèle de son travail de recherche et création chorégraphique. Il est un artiste mais aussi un chef de projets culturels, ou encore un “artiste-entrepreneur”.
Comme l’indique Christine Bastin, le contexte de la création chorégraphique a évolué et a fait évoluer avec lui les compétences auparavant attendues du chorégraphe. Il y a quinze ans, la chorégraphe avait avec elle une administratrice de compagnie. Elle aurait donc pu se permettre de répondre que les qualités requises pour un chorégraphe étaient seulement artistiques. Désormais, les chorégraphes, surtout lorsqu’ils débutent, n’ont plus de personnes en charge de l’administration et de la gestion de leur compagnie mais doivent apprendre à le faire eux-mêmes.
Ainsi, le chorégraphe doit ajouter à son arc des compétences dignes d’un chef d’entreprise dont la compagnie serait l’entreprise. En plus d’assumer le rôle de créateur de ballets, le chorégraphe doit apprendre à pérenniser sa structure, structurer son projet, en mesurer la faisabilité économique, savoir comment se rémunérer et rémunérer ses équipes. On est loin du compositeur de ballets du XVIIIe siècle dont parlait Noverre ! Pour autant, il ne faut pas forcément voir cette extension du champ de compétences du chorégraphe d’un mauvais oeil : se prendre en main au plan économique, trouver des financements et maîtriser ses budgets de création garantissent à une pièce sa faisabilité, et lui permet ainsi de tourner. En dirigeant administrativement son projet chorégraphique, le chorégraphe ne travaille pas artistiquement pour rien. Il sera en outre mieux disposé à vendre ensuite son spectacle à des réseaux qualifiés et à gérer ses relations avec des partenaires, d’autant plus s’il n’est pas entouré d’un.e chargé.e de diffusion à ses débuts ! De même, des compétences en communication peuvent être de bonnes cordes à ajouter à son arc de chorégraphe-entrepreneur au départ pour réaliser sites internet, invitations, newsletters, affiches, flyers ou autres et ainsi disposer d’outils pour présenter son travail à des programmateurs notamment.
En plus de la gestion économique de sa compagnie, le chorégraphe doit désormais être compétent en matière de management d’équipe. Rarement seul à travailler à bord du bateau de son projet chorégraphique, il en est pourtant le seul capitaine. Il est le leader du projet artistique, et à ce titre, doit être capable de faire preuve de leadership pour fédérer des compétences autour de sa vision artistique, et véritablement diriger toutes les personnes qui gravitent autour du projet (danseurs, techniciens, éventuellement personnel administratif…) Des qualités relationnelles et en communication sont ainsi appréciables dans cette tâche. Mais pas de panique, le management est aussi un apprentissage et des techniques issues du monde de l’entreprise peuvent aider les chorégraphes à devenir de véritables leaders de leurs projets.
Enfin, pour en finir avec cette liste non exhaustive de qualités utiles pour devenir chorégraphe, les personnes qui ont un goût pour la transmission seront fortement appréciées. En effet, les vertus de la danse et du mouvement méritent d’être connues par le plus grand nombre, ce qui nécessite d’être prêt à se replacer, en tant qu’artiste-créateur, au coeur de la société et avoir un rapport engageant avec elle autour du geste chorégraphique ! Ecoliers, collaborateurs d’une entreprise, personnes en situation de handicap ou encore patients d’un hôpital, prisonniers… autant d’humains que le chorégraphe peut sensibiliser à son art car après tout, l’outil du chorégraphe, le corps, est le plus grand dénominateur commun à toute l’Humanité ! Voilà donc de quoi diversifier encore la profession, à travers un goût prononcé pour la transmission. Ultime qualité du chorégraphe en effet : la générosité et la soif du partage.
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