Après avoir abordé le métier de chorégraphe d’un point de vue historique ; les qualités et compétences pour en devenir un.e, et la vision de Christine Bastin sur ce qu’est un chorégraphe, ces quelques lignes concernent à présent une question primordiale et parfois épineuse : celle de la rémunération du chorégraphe.
Photo : Liel Anapolsky sur Unsplash
Vivre de son art et de sa passion, c’est quelque chose d’admirable et qui donne envie, cependant cela demande aussi du courage ! Si la société dans son ensemble s’interroge sur les « métiers du spectacle vivant » et sur leur viabilité économique, en les comparant aux autres métiers actuels, nous vous proposons ici, sans être exhaustifs, un petit zoom sur les principales manières de se rémunérer lorsque l’on est chorégraphe et les enjeux pour y parvenir !
L’intermittence du spectacle : une rémunération propre aux artistes du spectacle vivant ?
Vous en avez très certainement entendu parler, au sein de la société française l’intermittence du spectacle fait débat depuis plusieurs années. Ce régime est critiqué et clive énormément. Certains trouvent que l’intermittence avantage trop les artistes, d’autres se battent pour sa pérennisation et son évolution… Petit retour sur la particularité du régime de l’intermittence en lien avec le métier de chorégraphe !
[thrive_lead_lock id=’17464′] « Si tu es chorégraphe alors tu es intermittent du spectacle, non ?! », voici la question qui peut parfois être posée lorsque l’on est chorégraphe mais qui peut parfois être un peu douloureuse. On vous explique pourquoi : l’intermittence du spectacle, ce n’est pas un métier, c’est un régime. Plus précisément, on parle de système de rémunération au cachet (date de représentation), à l’heure ou au service, c’est-à-dire à la répétition, qui permet à un professionnel du spectacle employé pour une durée limitée de bénéficier d’une couverture sociale et d’allocations chômage dans ses périodes d’inactivité à condition d’avoir suffisamment travaillé le reste du temps. Pour les artistes, et de fait pour les chorégraphes, ce sont au total 507 heures de travail qui doivent être cumulées en 12 mois ; ce qui correspond à 43 cachets isolés, et en une année et ce n’est pas rien ! Ce fonctionnement est bien particulier puisqu’il répond à une logique de travail par projet et donc de court terme. C’est ce qu’explique Pierre-Michel Menger dans Les intermittents du spectacle : Sociologie du travail flexible publié en 2015 lorsqu’il indique que « l’intermittence traduit une certaine flexibilité dans le travail et donc une importante précarité. En effet, ce marché du travail parfois défini comme « atypique » fonctionne sur la capacité d’embaucher et de débaucher à foison ». Ainsi, on comprend bien que l’engagement du chorégraphe demeure souvent sans relâche car qu’il doit sans cesse monter, développer ou faire partie de nouveaux projets pour obtenir son intermittence. D’un autre côté, ce travail par projet est aussi une possibilité pour le danseur d’avoir plusieurs employeurs de manière facilitée et cela donne donc une possibilité de travailler pour plusieurs chorégraphes.
La rémunération de ces métiers dépend donc de la stabilité dans le travail du chorégraphe ou plutôt de sa capacité à enchaîner et pérenniser des projets. Cette situation est unique et à part sur le marché du travail français : des organismes sociaux vont prendre en charge la carrière individuelle des artistes, tels que la caisse des congés spectacle (congés payés), les organismes de retraite, l’assurance-chômage et la cotisation à la formation. D’un autre côté, le statut de l’intermittence permet de compenser des périodes d’inactivité de l’artiste chorégraphe due à une absence de dates de représentations, et remédie parfois à une certaine précarité du métier. Ce fonctionnement particulier des métiers artistiques existe aussi en Belgique et au Luxembourg. Cependant, dans d’autres pays comme l’Allemagne par exemple, l’artiste est considéré soit comme un salarié, soit comme un travailleur indépendant. Le système de rémunération propre à la France – et quelques autres pays – est largement utilisé dans le spectacle vivant et demeure la principale manière de se rémunérer lorsqu’on est chorégraphe. Ainsi, l’intermittence est l’un des régimes qui permet au chorégraphe de se rémunérer, mais ce n’est pas le seul.
Le chorégraphe et les droits d’auteurs
Au delà de cette intermittence existante pour les artistes du spectacle vivant, le chorégraphe est avant tout l’auteur de ses pièces, et peut donc percevoir des droits d’auteur. C’est tout l’enjeu de la définition que l’on donne du métier de chorégraphe et que nous vous rappelions dans le bref historique de la profession. Hélène Marquié écrit en effet dans son article Du notateur à l’auteur : être chorégraphe au XIXe siècle que « la seconde partie du XVIIIe siècle voit progresser l’idée de propriété intellectuelle et la notion d’auteur en matière artistique. La reconnaissance des auteurs de chorégraphie sera plus difficile à obtenir.(…) Il faut attendre la seconde moitié du XIXe siècle pour que la jurisprudence établisse la possibilité de percevoir un droit d’auteur pour la création d’un mouvement original ». Il devient alors possible pour l’auteur de percevoir des droits de propriété intellectuelle dès lors qu’il a déposé ses œuvres à la SACD. « Le chorégraphe perçoit un cachet lorsqu’il est interprète et est rémunéré en droit d’auteur lorsqu’il effectue une création » pouvons nous lire sur le site de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD). Pour mieux comprendre le droit d’auteur, une fiche rédigée par la SACD est disponible ici. De vraies subtilités non négligeables doivent être mentionnées pour ce qui concerne les chorégraphes. Cet article de Chorégraphes associés est très complet et vous en dit davantage sur la procédure à suivre pour obtenir une rémunération du fait du droit d’auteur. Une chose est sûre, ce mode de rémunération va de paire avec la reconnaissance du statut d’auteur du chorégraphe. Pour plus d’informations, vous pouvez lire notre article au sujet de la SACD et du droit d’auteur.
Une rémunération n’englobant pas la totalité des fonctions du chorégraphes
Mais au-delà d’être un auteur, le chorégraphe est aussi le dirigeant qui porte sa compagnie. Le chorégraphe n’est pas seulement celui qui crée et transmet la chorégraphie aux danseurs, c’est aussi celui qui gère une compagnie. C’est également un porteur de projet qui doit gérer une équipe administrative, technique et artistique. Il porte aussi publiquement son œuvre auprès de partenaires, de diffuseurs et du public et doit donc aussi maîtriser les contraintes économiques du projet. Il est important de rappeler que la création demeure une seule partie de son travail. Ainsi, logiquement, ces différentes casquettes pourraient valoir une rémunération plus large que celle due au titre de son action de créateur artistique. Or la recherche incessante de nouveaux contrats, la rédaction de budgets, la communication autour du projet, sont des éléments qui ne sont généralement pas pris en charge par l’employeur et pour lesquels le chorégraphe n’est pas rémunéré. Ce sont pourtant des temps bien nécessaires qui permettent à sa création d’aboutir et d’être, un jour, présentée au grand public. Par ailleurs, via sa compagnie, il arrive que le chorégraphe, notamment en phase d’émergence, se rémunère en dernier lors de ses répétitions, créations et représentations parce qu’il souhaite, en général, payer avant lui les danseurs qui travaillent pour lui dans ses projets. Pour beaucoup de chorégraphes dirigeant une compagnie émergente, c’est un réel challenge de rémunérer l’ensemble des danseurs et donc de se rémunérer soi-même. Pourtant le chorégraphe étant le porteur du projet, on pourrait ainsi s’interroger sur la perception d’une rémunération prenant en compte ainsi l’ensemble de ses casquettes.
La rémunération du chorégraphe : une anticipation sur les métiers de demain ?
La rémunération du chorégraphe n’est donc finalement pas facile à aborder et à appréhender tant son travail est complet et relève de différents champs : auteur d’une œuvre, répétition de la création, travail au plateau, manager de projet chorégraphique, etc. Si le principal moyen de se rémunérer de manière régulière découle du régime intermittent, certains chorégraphes décident et essaient de demeurer dans des emplois permanents plutôt que dans l’intermittence. Pierre-Henri Menger expliquait déjà en 2003 dans À plusieurs voix sur Portrait de l’artiste en travailleur que les modalités du travail artistique sont « de plus en plus souvent revendiquées comme l’expression la plus avancée des nouveaux modes de production et des nouvelles relations d’emploi engendrés par les mutations récentes du capitalisme ». En effet, pour l’auteur, les qualités requises des artistes sont tout à fait celles exigées par le monde dans lequel nous vivons et ces tendances qui semblent s’accélérer : adaptabilité, créativité, mobilité, flexibilité, goût du risque, audace… Ainsi le chorégraphe en tant qu’artiste et son système de rémunération pourrait tout à fait être avant-gardiste de nos formes d’emplois de demain, même en dehors de l’artistique. Une hypothèse que certains pratiquent déjà et qui permettrait peut être d’éviter certaines idées préconçues sur le métier de chorégraphe et d’intégrer plus facilement les pratiques artistiques à la société… À suivre !
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- « Un besoin vital, incessant de remettre en ordre un espèce de chaos intérieur » : le métier de chorégraphe selon Christine Bastin
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