Hier soir, une image nous a tous sidéré, celle des flammes s’échappant de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Ce matin, Christine Bastin, directrice artistique de La Fabrique de la Danse, souhaitait vous adresser ces quelques mots.
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C’est ma vue préférée de Paris, quand on arrive depuis les quais, et qu’on découvre toute la façade de côté. Avec ses arcs-boutants de pierre, ses découpes magnifiques… Cette matière pierre et dentelle, ce bateau renversé qui propulse une cathédrale vers le ciel. Ca coupe le souffle. Ca fait bondir de joie.
Ce matin, tout est là… Dieu merci, mais c’est le cœur qui brûle.
La charpente… le toit qui abrite… la voûte qui contient. Déchirés, écroulés… En bas, ça pleure le plomb, et le bois est parti en fumée.
Hier, pendant que le feu démarrait, nous étions avec toute l’équipe de La Fabrique de la Danse au Forum des images des Halles, pour découvrir les films de Virginie Kahn, sur trois des chorégraphes de l’incubateur.
Des films bâtis sur leurs danses, leurs corps, l’architecture de leur âmes. Avec toujours ce qui échappe, ce qui ne se laisse pas attraper, contenir, parce qu’un film ne peut pas tout dire de l’essence d’un corps.
Une cathédrale, non plus, ne peut pas tout dire. Elle suggère. Elle ne contient pas tout de l’essence de ce qu’elle célèbre. Et tant mieux. Le désir, l’appel du sacré qui ont précédé sa construction, sont inaltérables. Ça veut dire que tout peut recommencer demain, se renouveler demain. Puisque l’essentiel est indestructible.
Alors oui, on a envie aujourd’hui de la reconstruire, pour l’histoire, le patrimoine, pour nous tous, pour la tentation de l’impérissable. Sans oublier que c’est d’abord le désir qu’il faut reconstruire : désir d’élever une maison qui célèbre le sacré, l’insaisissable, dont on ne peut se passer pour toucher au meilleur de soi ; désir d’y travailler ensemble, pas pour la gloire d’un seul, mais grâce à la multitude, comme aux début de Notre-Dame de Paris ; désir de retrouver les métiers qui rendent hommage au talent créateur de l’homme. Les savoirs-oubliés. Pourquoi ? Le monde s’en émerveille tant !
Ce serait une révolution tellement puissante de remettre au centre, l’homme sensible et créatif, dans un siècle où tout s’automatise de plus en plus ; de renouer avec le temps ; de redécouvrir que le progrès n’est pas l’accumulation de biens, mais la construction de soi-même, au travers de la construction d’une belle œuvre.
Redécouvrir que bâtir le beau, c’est cela qui fait sens.
Dostoïevski nous le dit si simplement : La beauté sauvera le monde.
Ce matin, « rebâtir » est dans tous nos esprits. Et l’élan de générosité du monde est stupéfiant ! Comme si chacun avait l’intuition viscérale qu’un tel symbole ne peut pas disparaitre… Au-delà du prestige. C’est encourageant pour ce que l’on pressent de la grandeur de l’homme.
Alors rebâtissons, à partir des arcs-boutants du passé, ce qui nous tient à cœur aujourd’hui…
Bâtir, créer… C’est la danse qui recommence.
Tous les danseurs sont aux anges quand ils font le premier pas… Quant à l’ange de la flèche, il a rejoint le ciel, dans un grand éclat de rire : « A vous maintenant : moi j’ai fait mon temps ! »