Anaëlle Camarda est une chercheuse en psychologie qui étudie particulièrement les processus neurocognitifs à l’origine des blocages existant dans la créativité et l’innovation, et les différents processus qui permettent de les dépasser. Elle travaille au Laboratoire de Psychologie du Développement et de l’Education de l’Enfant (LaPsyDE) de l’université Paris Descartes, en collaboration avec la chaire “Théories et Méthodes de la Conception Innovante” de l’école des Mines ParisTech.

créativité

Photo by Danielle MacInnes on Unsplash

Pouvez-nous parler en quelques mots de vos recherches récentes sur la créativité ?

Tout au long de ma thèse (réalisée sous la direction du Pr. Mathieu Cassotti), je me suis intéressée à la mise en évidence des processus neurocognitifs à l’origine des effets de fixation cognitive lors de la génération d’idées créatives, ainsi qu’à ceux qui permettent de dépasser ces fixations. Après avoir créé une modélisation des processus cognitifs impliqués dans la créativité, nous avons eu la possibilité d’appliquer les prédictions de ce modèle chez les enfants d’âge scolaire. A travers notre dernière expérience, Lison Bouhours, Mathieu Cassotti et moi même avons cherché à transférer les connaissances fondamentales acquises au laboratoire à l’école, en créant un programme d’apprentissage scolaire expérimental co-construit avec des enseignants de primaire. Nous avons donc animé des ateliers fondés sur plusieurs méthodes d’apprentissage : la méthode imitative « à la manière de » ; celle, bien connue, du « brainstorming » (partage d’idées sur post-it…) ; et enfin la méthode permettant de tester les prédictions de notre modèle, à savoir de « la méthode CK ». Cette dernière, née au Centre de Gestion Scientifique de l’école des Mines ParisTech permet de faire communiquer deux mondes : Celui des connaissances et celui des idées que nous générons. Ainsi, il s’agit de s’appuyer sur les connaissances que nous possédons afin de trouver de nouvelles idées. Cependant, les connaissances et les idées qui nous viennent automatiquement à l’esprit créées des fixations cognitives et nous empêchent de penser à d’autres choses. Ainsi, en organisant nos connaissances et les idées qui y sont associées, nous pouvons mettre de coter les premières catégories générées, pour permettre l’exploration de catégories de solutions beaucoup plus originales. Par exemple, si l’on vous demande de faire en sorte qu’un oeuf lâché de 10 mètres de haut ne se casse pas, il s’agit d’anticiper les idées auxquelles vous allez tout de suite penser (utiliser un parachute par ex) – et auxquelles tout le monde va penser – qui ne vont donc pas vous permettre de vous distinguer des concurrents. En faisant celà, vous pouvez alors pensez à des idées bien plus créatives, comme modifier la structure moléculaire de l’oeuf pour le rendre flexible. Ainsi, le programme d’apprentissage à l’aide de la méthode CK avait pour but de permettre aux enfants de prendre conscience des catégories de solutions fixantes, de les mettre de côté, et de trouver de nouvelles idées plus créatives grâce à la structuration des connaissances qu’ils possèdent.

Peut-on extrapoler ces études faites sur les enfants aux adultes ?

Oui, ces études sont valables pour les enfants comme pour les adultes. D’ailleurs, les premières études que nous avons menées ont été faites chez des jeunes adultes. Aujourd’hui, nous avons disposons d’un panel d’étude menée de l’enfance (10 ans) jusqu’à l’âge adulte, en passant par l’expérimentation chez des individus experts de la créativité (les ingénieurs et les designers), qui nous a permis de montrer que tous les individus ont des fixations, quelque soit leur âge, mais que celles – ci se développent: Ainsi, un enfant n’est pas plus créatif qu’un adulte, il est simplement fixé différemment.

Comment définiriez-vous la créativité ?

La créativité est une fonction très complexe de l’être humain, puisqu’elle découle elle même de nombreuses fonctions telles que la perception, le raisonnement, le langage… Il est donc compliqué de la définir. Cependant, après de longs débats, les scientifiques ont consensuellement admis qu’il s’agit de l’habileté à générer des idées nouvelles et adaptées au problème posé. Toutefois, de nombreuses questions font encore débat, par exemple : est-il nécessaire que l’idée soit adaptée ? La créativité passe par plusieurs étapes allant de la réception du problème, de sa définition, de la génération des premières idées, jusqu’à la production de l’oeuvre attendue. Par définition, cette oeuvre doit être rare, innovante. Toutefois, il est tout à fait envisageable que des idées très créatives générées initialement ne semblent pas répondre au problème posé au premier abord. Mais c’est en travaillant au fur et à mesure du processus créatif qu’il faut affiner les décisions, les représentations, les matières choisiess, etc, afin d’orienter cette idées vers la question posée initialement. Par ailleurs, il est aujourd’hui reconnu dans la littérature que les individus se posant la question de « l’adaptation » trop tôt lors de la génération d’idées se contraignent et soient moins créatifs que ceux qui se posent la même question dans un second temps.

Selon vous, existe-t-il des idées reçues sur la créativité qui soient infondées ?

Oui ! On pense souvent qu’un leader doit être créatif. Mais comme nous l’avons démontré lors d’études réalisées en Management et lors de notre programme d’apprentissage scolaire expérimental, un leader n’a pas besoin d’être créatif ! Il doit être dé-fixateur, c’est à dire qu’il soit savoir pointer l’obstacle que son équipe doit dépasser. Ensuite, le processus créatif n’est pas un processus automatique : certaines idées automatiques viennent bloquer la créativité, c’est justement le propos de ma thèse. Il faut alors utiliser des fonctions humaines de contrôles pour pouvoir les dépasser et explorer d’autres idées davantage créatives.Enfin, la créativité n’est pas innée contrairement à ce qu’on a pu penser pendant de nombreuses années : elle se travaille et on peut tous devenir créatifs. Un des moyens envisageable, c’est de travailler sa créativité en trouvant quels sont nos blocages et en cherchant à en sortir.

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